Toxicité des inhibiteurs calciques

Par Nancy G. Murphy, MD

Introduction

Les inhibiteurs calciques (IEC) sont largement utilisés pour le traitement de l’hypertension, de l’angine de poitrine, des tachyarythmies et de la prophylaxie des migraines. Les rapports de toxicité grave des CCB ont augmenté en raison de l’utilisation répandue de cette classe de médicaments. De plus, l’ingestion de préparations à libération prolongée peut entraîner une toxicité retardée et prolongée.

Présentation de cas

Un homme de 42 ans s’est présenté quatre heures après une ingestion suicidaire de vérapamil. En route vers l’hôpital, le patient avait des signes vitaux normaux et était éveillé et alerte. À son arrivée au service des urgences, une dose unique de charbon actif (60 g) a été administrée par voie orale et le patient a été placé sur un moniteur cardiaque. Sa fréquence cardiaque était de 80 battements par minute et sa tension artérielle de 120/80 mm Hg. Dans l’heure qui a suivi, le patient est devenu léthargique et son pouls et sa tension artérielle ont commencé à baisser rapidement. La bandelette rythmique a montré un rythme jonctionnel lent avec des battements sinusaux occasionnels :

L’atropine n’a eu aucun effet sur sa fréquence cardiaque de 40 bpm et les fluides intraveineux n’ont pas amélioré sa pression artérielle de 70/40 mmHg. Le glucagon, 5 mg IV, et le chlorure de calcium (total de 5 ampoules de solution à 10%) n’ont eu aucun effet sur son hémodynamique, pas plus que la stimulation transcutanée. Un bolus d’insuline et de dextrose a également été administré avec un effet minime, tandis que la dopamine et la norépinéphrine ont été mises en route. Enfin, un stimulateur cardiaque transveineux a été inséré, ce qui a permis de normaliser sa fréquence cardiaque et sa tension artérielle. Les médicaments intraveineux ont finalement été sevrés et le patient s’est rétabli sans autre incident. Il a été transféré en psychiatrie le jour d’hospitalisation # 4.

Questions

  1. Quelle est la physiopathologie de l’empoisonnement au CCB et quels sont les symptômes et les signes de présentation typiques ?
  2. Quelles procédures de décontamination doivent être effectuées en cas de surdosage aigu de CCB ?
  3. Quand un patient peut-il être autorisé médicalement en toute sécurité ?
  4. Quelles sont les options de traitement de la toxicité des CCB ?

Pathophysiologie

Les CCB bloquent l’entrée intracellulaire du calcium en se liant aux canaux calciques de type L situés principalement dans les muscles lisses cardiaques et vasculaires. Il en résulte une diminution de la fréquence d’amorçage du stimulateur du nœud sinusal, une diminution de la vitesse de conduction à travers le nœud AV, une diminution de la contractilité cardiaque et une diminution du tonus vasculaire. Les différents inhibiteurs calciques ont des effets variables sur ces fonctions physiologiques : le vérapamil a des effets dépressifs principalement sur la conduction du nœud SA/AV et la contractilité du myocarde. Le diltiazem a une action similaire à celle du vérapamil mais produit moins de dépression cardiaque aux doses thérapeutiques. La nifédipine et les autres dihydropyridines agissent préférentiellement sur le muscle lisse vasculaire, entraînant une vasodilatation ; leur effet sur la conduction cardiaque est insignifiant aux doses thérapeutiques. Cependant, en cas de surdosage, la sélectivité des agents spécifiques peut être perdue. Les effets extracardiaques des CCB comprennent la léthargie, la confusion, les convulsions (rares), l’hyperglycémie et l’acidose lactique due à l’hypoperfusion.

Présentation clinique

Les manifestations cardiaques de la toxicité des CCB sont essentiellement une extension de leurs effets thérapeutiques. Une toxicité grave peut survenir même avec des doses thérapeutiques de CCB chez des personnes présentant une maladie cardiaque sous-jacente, et des effets similaires sont observés chez des personnes en bonne santé après un surdosage. L’hypotension est une caractéristique commune du surdosage en CCB et résulte de différents mécanismes. La vasodilatation peut entraîner une hypotension en raison de la diminution de la résistance vasculaire systémique ; il s’agit d’un effet de tous les CCB. D’autres mécanismes d’hypotension sont une bradycardie sévère et une dépression de la contractilité qui entraînent une diminution du débit cardiaque et un choc. L’inhibition de l’entrée du calcium dans la cellule myocardique, qui est nécessaire à la contraction musculaire, entraîne une contractilité myocardique réduite. La dépression des cellules cardiaques à réponse lente induite par le vérapamil et le diltiazem peut également entraîner une bradycardie ou un arrêt sinusal et un bloc AV, en particulier dans le cadre d’une maladie de conduction cardiaque préexistante.

Diagnostic

L’hypotension et la bradycardie, en particulier en présence d’un arrêt sinusal ou d’un bloc AV et en l’absence d’un allongement du QRS, doivent faire suspecter une toxicité des CCB. Le diagnostic différentiel doit inclure les bêta-bloquants et d’autres médicaments sympatholytiques, ainsi que la digoxine (qui peut provoquer des bradyarythmies). Les études de laboratoire doivent inclure les électrolytes, le glucose, l’azote uréique sanguin, la créatinine, le taux de digoxine (le cas échéant) et le taux de lactate en cas d’acidose. La surveillance de l’ECG et de l’oxymétrie de pouls est cruciale.

Traitement

Les mesures de traitement initial de la toxicité des CCB comprennent une gestion appropriée des voies aériennes, une évaluation des signes vitaux et une surveillance cardiaque continue. Du charbon actif doit être administré dès que possible, et certaines sources ont préconisé des doses répétées pour les produits à libération prolongée, bien que l’efficacité du charbon multidose ne soit pas prouvée. Le lavage gastrique peut être utile si l’ingestion a eu lieu dans l’heure précédant le traitement et si le produit n’est pas une préparation à libération immédiate. L’irrigation de l’intestin entier est la procédure de décontamination gastro-intestinale privilégiée après l’ingestion de médicaments à libération prolongée, sauf si le patient est hémodynamiquement instable ou présente un iléus.

La prise en charge pharmacologique de la toxicité des CCB peut inclure l’utilisation d’atropine, de calcium, de glucagon, de dopamine, d’épinéphrine, de norépinéphrine, d’inamrinone (ou d’un autre inhibiteur de la phosphodiestérase) et d’un traitement combiné insuline-glucose à forte dose. Les recommandations de traitement sont basées sur un nombre relativement faible d’études animales, de rapports et de séries de cas, ainsi que sur l’expérience empirique ou clinique. Il convient de souligner qu’il n’existe pas d' »antidote » unique et prévisible pour l’empoisonnement à la BCC. En général, le traitement doit être orienté vers le mécanisme probable de la toxicité.

Bradycardie

Pour une bradycardie réfractaire à l’atropine, on peut administrer un bolus IV de 5-10 mg de glucagon, suivi d’une perfusion de 5-10 mg/heure. Des rapports de cas et une certaine expérience anecdotique montrent que le glucagon améliore la conduction dans ces cas, mais les essais cliniques soutenant son utilisation font défaut. La stimulation cardiaque peut également être efficace, mais peut ne pas aboutir à une « capture » ou la conduction du signal électrique peut être altérée, et il n’y a aucune garantie que la capture améliore la contractilité et la pression artérielle.

Hypotension

L’hypotension peut être due à une vasodilatation ou à une inotropie négative ou aux deux. Il peut être difficile de déterminer quel mécanisme est impliqué chez un patient donné sans placer une ligne de Swan-Ganz et mesurer le débit cardiaque et calculer la résistance vasculaire périphérique. Cependant, une approche empirique par essais et erreurs est souvent adoptée. La vasodilatation est traitée avec des fluides IV et des vasoconstricteurs directs tels que la norépinéphrine ou la phényléphrine.

Les effets inotropes négatifs peuvent être inversés par un certain nombre de traitements.

  1. Le calcium peut inverser les effets inotropes négatifs des CCB et peut partiellement inverser la toxicité électrophysiologique mais semble n’avoir aucun effet pour inverser la vasodilatation. La dose efficace de calcium a été débattue. En général, des bolus initiaux de calcium par voie IV (un gramme de gluconate ou de chlorure de calcium) suivis d’une perfusion continue avec surveillance du calcium sérique constituent une approche raisonnable, en utilisant le profil hémodynamique comme guide pour le dosage. Il faut viser un taux de calcium sérique d’environ 13-15 mg/dl, du moins au début. L’administration de fortes doses de calcium a été décrite dans des cas de surdosage de CCB, entraînant des taux de calcium sérique transitoires pouvant atteindre 23,8 mg/dl sans effet indésirable apparent. Le chlorure de calcium fournit plus de calcium disponible par gramme que le gluconate de calcium. Il faut prendre soin d’éviter l’extravasation du chlorure de calcium dans les tissus, car une nécrose de la peau peut se produire. Par conséquent, les cathéters centraux peuvent être la voie privilégiée pour les perfusions de chlorure de calcium. Le gluconate de calcium ne présente pas le même risque de lésion cutanée en cas d’extravasation. (Remarque : il peut être dangereux d’administrer du calcium à un patient présentant une toxicité à la digoxine ; la littérature ancienne suggère que des arythmies peuvent se produire. Des études plus récentes ont fourni des résultats contradictoires.)
  2. Chez les patients qui ne répondent pas immédiatement au calcium, une perfusion de dopamine (5-20 mcg/kg/min) ou d’adrénaline (1 mcg/min titrée à la hausse selon les besoins) peut fournir un soutien inotrope à médiation bêta-1. L’inamrinone (0,75 mg/kg suivi d’une perfusion à 5-10 mcg/kg/min) a également été administrée avec un certain succès.
  3. L’insuline à forte dose (avec co-administration de glucose pour maintenir l’euglycémie) peut améliorer de manière significative la contractilité myocardique lorsque les traitements standard ont échoué. L’insuline a une activité inotrope et permet au myocarde d’utiliser l’énergie, sous forme d’hydrates de carbone, plus efficacement. Il en résulte une augmentation de la contractilité myocardique et une amélioration de l’hypotension. La dose d’insuline suggérée est de 0,5 à 1,0 unité/kg/h, ce qui est beaucoup plus élevé que les doses utilisées pour traiter l’acidocétose diabétique. L’administration concomitante de dextrose est nécessaire : pendant la première heure, une estimation raisonnable de la dose est de 25 g IV, titrée en fonction des mesures de la glycémie. Les besoins moyens se situent entre 20 et 30 g/heure.
  4. Le glucagon peut avoir des effets inotropes positifs chez les patients intoxiqués par les bêtabloquants, et il est possible que certains patients hypotendus intoxiqués par les BCC répondent par une élévation de la pression artérielle, bien qu’il n’y ait pas d’essais cliniques pour étayer cette hypothèse. Le glucagon doit être administré à des doses de 5 à 10 mg en bolus, suivi d’une perfusion de 5 à 10 mg/heure si le dosage en bolus est efficace.
  5. La stimulation, les pompes à ballonnet intra-aortique et la dérivation extracorporelle ont été utilisées pour le choc réfractaire dans ce contexte.

Discussion des questions du cas et des points clés

  1. Les CCB bloquent l’entrée du calcium dans les cellules, ce qui entraîne une vasodilatation périphérique et coronaire, une contractilité cardiaque réduite, un ralentissement de la conduction AV et une dépression du nœud sinusal. Cliniquement, cela entraîne couramment une bradycardie et une hypotension.
  2. Une décontamination intestinale agressive peut être salvatrice si elle est initiée rapidement après le surdosage. Le charbon actif est efficace pour fixer les CCB. L’irrigation de l’intestin entier (à un débit de 2 L/heure) doit être utilisée chez les patients présentant des surdoses de produits à libération prolongée, tant que le patient est stable sur le plan hémodynamique et ne présente pas d’iléus.
  3. Un patient asymptomatique ayant ingéré un CCB à libération immédiate doit être observé sur un moniteur cardiaque pendant au moins 6 à 8 heures. La période d’observation doit être portée à 12-24 heures si le patient a ingéré un CCB à libération prolongée. La durée la plus longue (24 heures) est recommandée si l’ingestion était du vérapamil à libération prolongée.
  4. Il n’y a pas d’antidote « magique » pour l’empoisonnement aux CCB. Les options de traitement de la bradycardie induite par les CCB comprennent l’atropine, la stimulation cardiaque et éventuellement le calcium et le glucagon. L’hypotension doit d’abord être traitée par des fluides intraveineux, puis par du calcium, de l’insuline/dextrose et des vasopresseurs. Les cas réfractaires peuvent bénéficier d’une stimulation cardiaque, d’une pompe à ballonnet intra-aortique ou d’une dérivation extracorporelle.

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