Promenades parisiennes : Rue Cler, la célèbre rue du marché

Épicerie Fine Rive Gauche. Photo : JT Iverson

Le gourou du voyage Rick Steves a qualifié la rue Cler de « ma rue préférée à Paris », s’enthousiasmant : « La rue Cler, bordée de boutiques qui débordent dans la rue, ressemble à un Paris villageois – dans l’ombre maigre de la Tour Eiffel. » Nancy Leson, critique du Seattle Times, a fait l’éloge de ce « paradis de la gastronomie parisienne », décrivant sa première visite en des termes proches de l’incroyable. « Je me souviens encore de ma première vision de la rue Cler… Un regard et j’ai pleuré de vraies larmes. »

Au vu de telles critiques, et de l’emplacement de la rue à quelques pas de la Tour Eiffel, des Invalides et de musées tels que le Quai Branly, le Musée d’Orsay et le Musée Rodin, il n’est pas surprenant que les touristes aient afflué dans la rue Cler ces dernières années pour découvrir tout ce brouhaha. Mais tous les visiteurs ne repartent pas avec une première impression aussi brillante que celle des critiques. L’attrait de la rue Cler n’est pas aussi évident que celui d’autres célèbres rues commerçantes parisiennes. Elle n’a pas l’animation et l’esprit libre de la rue de Lévis, ni l’histoire vibrante de la rue Montorgueil ; il lui manque la diversité et le flair artistique de la rue Daguerre, la jeunesse et l’esprit d’entreprise créatif de la rue des Martyrs, et l’ampleur de la rue d’Aligre. Et pourtant, cette rue marchande chic a une identité non moins distincte, marquée par les goûts exigeants de certaines des familles les plus anciennes et les plus aisées de Paris.

La rue Cler traverse le cœur du 7e arrondissement, un quartier associé à la noblesse française. Elle est jonchée d’hôtels particuliers historiques, dont beaucoup abritent aujourd’hui l’élite économique française, des ministères et des ambassades étrangères. Dégageant ce que Le Figaro appelle « le charme discret de la bourgeoisie », la rue Cler, comme le reste du 7e arrondissement, « incarne un certain art de vivre à la française ». Mais il ne se répand pas sur les pavés, comme semblent le suggérer certains écrivains de voyage – il faut le chercher. La rue Cler se découvre le mieux lentement, en poussant porte après porte, en goûtant une délicatesse après l’autre, et en écoutant les histoires qui se cachent derrière, jusqu’à ce que la véritable étendue des délices de la rue devienne délicieusement évidente.

Moulin à légumes au marché dominical de la rue Cler. Photo : JT Iverson

Depuis la station de métro La Tour-Maubourg, avec son jardin et sa fontaine ruisselante surplombée par une statue de Vauban, le planificateur militaire de Louis XIV, il n’y a qu’une courte marche dans la rue de Grenelle pour atteindre la rue Cler. Là, à gauche, l’entrée de la partie piétonne de la rue, où se tient le marché dominical animé, est flanquée de deux grands stands de marchands de légumes. Les acheteurs se promènent tranquillement devant des étalages bien rangés de légumes, de fruits et de champignons. Les vendeurs de produits sont polis et attentifs, n’aboyant jamais les prix comme cela se fait sur les marchés de rue plus émeutiers de la rive droite.

Il y a quelques décennies, l’ambiance aurait été bien différente. Avant que les cafés chics et les boutiques de vêtements ne commencent à empiéter ces dernières années, la rue Cler était inondée de nourriture. Certains se souviennent encore des charrettes, qui appartenaient souvent à des épouses veuves de soldats de la Seconde Guerre mondiale ayant obtenu une dérogation pour vendre leurs produits dans la rue sans payer de loyer. Mais à mesure que les rangs de ces professions pénibles ont diminué, il semble que la perte de quantité se soit accompagnée d’une hausse notable de la qualité, ce qui a valu à la rue une solide réputation d’excellence gastronomique.

Le marché de rue Cler. Photo : JT Iverson

C’est cette renommée qui a attiré Yohan Lastre et Marion Sonier pour ouvrir leur laboratoire d’épicerie fine à l’angle de la rue Cler et de la rue de Grenelle. Lastre, un chef de 37 ans qui a travaillé dans des institutions parisiennes comme le Ritz et la Tour d’Argent, a reçu en 2012 l’honneur rare d’être nommé champion du monde de pâté-croûte. Depuis des siècles, les chefs français cuisent des pâtés de viande dans des coquilles de pâte au beurre, mais Lastre a respectueusement insufflé à la tradition une dose de modernité, en créant également des recettes de fruits de mer, de légumes et de fruits. Pour célébrer le pâté-croûte, tout en proposant des plats fraîchement préparés et des pâtisseries à emporter, Lastre a ouvert en septembre 2016 Lastre sans apostrophe (188 rue de Grenelle), avec son épouse ébéniste, Sonier, qui a conçu l’intérieur.

« Nous voulions nous installer à côté de la rue Cler, car c’est un véritable centre d’achats alimentaires de qualité à Paris », explique Lastre. « La rue Cler compte de très, très beaux établissements, que ce soit pour le fromage, le poisson, la charcuterie ou la boucherie. Pour être près de cette zone, vous bénéficiez de tous ces gens qui se dirigent vers la rue Cler, qui après tout est le cœur de ce quartier. »

Un soupirant de rue sur la rue Cler. Photo : JT Iverson

Pour remonter aux origines de la réputation d’excellence de la rue Cler, deux noms se détachent : Davoli et Jeusselin. Aujourd’hui, Bruno Jeusselin de la Maison Jeusselin (37 rue Cler) est le propriétaire de la charcuterie/delicatessen de la troisième génération. Dans la lignée de son père et de son grand-père, qui ont fondé l’entreprise en 1937, Bruno a fait du fait-maison son cheval de bataille. Jeusselin est aujourd’hui l’une des dernières charcuteries à préparer sur place la quasi-totalité de ses produits, des délicieux plats chauds à son célèbre foie gras, en passant par son fromage de tête médaillé d’or et son jambon blanc. Pour avoir maintenu des normes aussi exigeantes, le guide gastronomique Gault & Millau a nommé en 2008 la Maison Jeusselin meilleur traiteur de Paris.

Comme par hasard, depuis plus d’un demi-siècle, en face de la meilleure charcuterie française de Paris se trouve la meilleure charcuterie italienne de Paris. Lorsqu’il a ouvert ses portes au 34 rue Cler en 1962, Davoli était déjà un nom associé à la meilleure charcuterie italienne de la capitale française, l’entreprise ayant été fondée en 1913 – la boutique d’origine se trouvait rue de Passy. Aujourd’hui, Stéphane et Alexandre Davoli sont les propriétaires de la quatrième génération, et leurs fabuleuses charcuteries franco-italiennes sont le reflet de l’histoire de leur famille. Les jambons de Parme suspendus au plafond, ainsi que le parmesan vieilli, les vinaigres balsamiques, les huiles d’olive et les pâtes, sont tous importés de leur pays d’origine, l’Émilie-Romagne. Mais le plateau fumant de choucroute posé sur le comptoir, tout comme les portions de blanquette de veau et de bœuf Bourguignon que leurs clients achètent à emporter, rappellent des générations d’échanges culinaires familiaux et d’intermariages.

Les truffes blanches sont arrivées chez Davoli. Photo : JT Iverson

« L’histoire d’amour entre Français et Italiens est l’une des plus grandes du monde », affirme Stéphane, qui a récemment rassemblé les recettes de sa famille dans le charmant livre de recettes Cuisine Italienne (éditions Mango). « Peut-être que nous ne pouvons pas nous supporter quand il s’agit de football, mais pour des choses comme la mode et la cuisine, nous sommes comme deux pois dans une gousse. » Ou deux truffes… Avec l’arrivée des premières truffes de l’automne, les vitrines de Davoli vantent toujours à la fois les truffes blanches d’Alba et la tuber uncinatum noire de Bourgogne. « Ce qui se vend aujourd’hui, ce sont des aliments raffinés, sophistiqués », explique Stéphane. « Nous sommes dans le 7e arrondissement, ce sont de vieilles familles ici, avec des moyens considérables. Si un commerce doit survivre dans la rue Cler, il doit miser sur la qualité. »

Davoli. Photo : JT Iverson

C’est la conviction de Marie-Anne Cantin depuis plus de 35 ans dans sa fromagerie éponyme, au coin de la rue, au 12 rue du Champ de Mars. Cette fromagère de la deuxième génération, dont le père a fondé la Guilde des marchands de fromages de France, a maintenu la tradition de l’affinage, en voie de disparition, en faisant vieillir des centaines de fromages jusqu’à leur apogée aromatique dans ses propres caves. La boutique de Cantin ressemble plus à une bijouterie qu’à une fromagerie, tant ses étalages sont élégants. Pourtant, à l’exception du Comté vieilli 48 mois, ses fromages coûtent bien moins cher que des diamants. « Ce que nous proposons n’est pas un luxe, pas en termes de prix », affirme Mme Cantin. « C’est un luxe, cependant, dans la mesure où les fromages vieillis à la perfection sont devenus rares ». Elle estime que seuls quatre ou cinq quartiers de Paris ont encore un fromager qui met en cave ses propres fromages. Pour Mme Cantin, il est tout naturel que la rue Cler soit l’un d’entre eux.

Marie-Anne Cantin et sa fromagerie éponyme. Photo : JT Iverson

« Il y a plusieurs pôles gastronomiques à Paris, mais c’est vrai que dans un petit périmètre autour de la rue Cler, vous avez une vraie diversité », dit-elle. « Vous avez nos fromages, vous avez Davoli et Jeusselin, et le meilleur pâté-croûte du monde… Vous pouvez tout trouver. » D’une poissonnerie fine, La Sablaise (28 rue Cler), avec ses énormes turbots pêchés à la ligne, aux excellentes Boucheries Roger Billebault (52 rue Cler), l’une des rares boucheries de Paris à proposer des viandes biologiques, en passant par le grand caviste Les Grandes Caves (55 rue Cler), avec sa sélection singulière de cuvées rares de Bourgogne, de Bordeaux et de Champagne pour accompagner tous les plats, la rue Cler peut répondre à tous les désirs d’un gastronome.

Comté affiné à la fromagerie de Marie-Anne Cantin. Photo : JT Iverson

Pour les gourmands, il y a la célèbre chocolaterie Chocolatier Pralus (44 rue Cler). Au 39 rue Cler se trouve l’unique point de vente parisien de l’extraordinaire normande Martine Lambert, que l’expert en gastronomie Bruno Verjus a baptisée « la reine des glaces ». Plus récemment, La Maison de la Chantilly (47 rue Cler) a ouvert sa boutique phare, dédiée à la réhabilitation d’un élément légendaire de la pâtisserie française très malmené par les imitations de supermarché : la crème Chantilly, fabriquée à partir de crème fraîche de la ferme.

La crème glacée Martine Lambert. Photo : JT Iverson

Mais l’adresse qui résume le mieux l’esprit de la rue Cler est en fait juste au coin de la rue. « Quand j’ai ouvert en 1999, je voulais être complémentaire du quartier », explique Pascal Mièvre de l’Épicerie Fine Rive Gauche (8 rue du Champ de Mars). « Pas pour proposer du fromage comme Marie Cantin, ou être une trattoria comme Davoli, ou une charcuterie comme Jeusselin. Je voulais travailler avec des petits producteurs de grande qualité pour proposer des gammes entières de leurs produits. » Mièvre et sa femme, Nathalie, dirigent leur épicerie avec un goût irréprochable, et un sens de l’obligation morale envers leurs fournisseurs. Lorsque Mièvre trouve un producteur de poivrons, il s’engage sur huit variétés ; un producteur d’huile d’olive exceptionnel, et il prend 20 huiles. Trente moutardes. Quarante parfums de glaces Berthillon. Quatre-vingts confitures succulentes. « Ces producteurs ont besoin d’être reconnus pour pouvoir vivre. J’en ai vu trop se perdre devant les sirènes de la grande distribution, pour être engloutis. »

Épicerie Fine Rive Gauche. Photo : JT Iverson

Récemment, l’édition 2017 du Guide des Gourmands de France a attribué à Mièvre son Coq d’Or de la meilleure épicerie de Paris, notant : « À l’heure où tout le monde ouvre son ‘épicerie’, celle que Pascal Mièvre possède depuis de nombreuses années devrait leur servir de modèle. » Ces mots pourraient s’appliquer à la rue Cler elle-même. C’est une rue qui ne peut être jugée à la seule vue : pour la connaître, il faut la goûter, une délicatesse après l’autre.

Maison de la Chantilly. Photo : JT Iverson

Boutiques et restaurants

Davoli, 34 rue Cler, Tél. +33 (0)1 45 51 23 41

La corne d’abondance de cette épicerie fine franco-italienne reflète le splendide parcours culinaire d’une famille d’immigrés italiens. Quatre générations de Davoli ont apporté à Paris les truffes, le jambon de Parme et les fromages de leur Emilie-Romagne natale (le cœur gastronomique de l’Italie), tout en maîtrisant la cuisine française. De nombreux critiques considèrent la choucroute alsacienne de Davoli comme la meilleure de Paris !

Martine Lambert, 39 rue Cler, Tél. +33 (0)1 40 62 97 18

Cette petite boutique propose aux gourmets de déguster les glaces, gâteaux et sorbets de Martine Lambert, celle que l’on surnomme la « reine des glaces » de Normandie. Des sorbets étonnants composés uniquement de fruits parfaitement mûrs et de sucre, des glaces de crème normande, des œufs frais, des saveurs divines… Commandez un cornet, ou emportez une pinte, les créations exquises de Lambert sont non pasteurisées et sans conservateurs.

La boutique Martine Lambert. Photo : JT Iverson

Épicerie Fine Rive Gauche, 8 rue du Champ de Mars, Tél. +33 (0)1 47 05 98 18

Quelle est la meilleure épicerie fine, ou épicerie gourmande, de Paris ? Pour le Guide des Gourmands 2017, c’est celle que Pascal et Nathalie Mièvre ont créée en 1999 à deux pas de la rue Cler. De leurs conserves de sardines à l’huile de homard, à leur foie gras au poivre du piquillo en passant par leur moutarde aux cèpes et au thé fumé, leur boutique est un modèle de sourcing impeccable.

Marie-Anne Cantin, 12 rue du Champ de Mars, Tél. +33 (0)1 45 50 43 94

Vous vous êtes déjà demandé où le président se fournissait en fromage ? Nommée fournisseur de l’Élysée, c’est l’un des nombreux honneurs de Marie-Anne Cantin, gardienne de la tradition gastronomique et l’un des derniers fromagers parisiens à faire encore vieillir ses fromages à la perfection dans des caves sur place. Le chef David Rosengarten qualifie la boutique boîte à bijoux de Cantin de « fantaisie fromagère ordonnée et super-aromatique ».

Les Grandes Caves. Photo : JT Iverson

Maison de la Chantilly, 47 rue Cler, Tél. +33 (0)1 45 50 44 35

La dernière boutique gourmande de la rue Cler est dédiée à une spécialité française légendaire : Chantilly, la crème fouettée sucrée qui porte le nom du château éponyme. Fabriquée dans une ferme du Cantal, et pasteurisée à basse température pour préserver les arômes, la crème fouettée dense et savoureuse de la Maison est servie avec du café, des fruits, ou transformée en bonbons, pâtisseries et salaisons.

Les Grandes Caves, 55 rue Cler, Tél. +33 (0)1 44 05 90 05

Les Grandes Caves offrent une pléthore de vins pour les épicuriens les plus avertis, issus de noms illustres (le Domaine de la Romanée-Conti en Bourgogne, Didier Dagueneau dans la Loire, Jean-Louis Chave du Rhône) aux stars avant-gardistes comme le Château Bellevue, un Grand Cru Saint-Émilion biodynamique, et Roses de Jeanne, parmi les plus petits domaines champenois sans compromis.

Dans le magazine France Today

Le métro le plus proche pour le quartier de la rue Cler est La Tour-Maubourg. Photo : JT Iverson

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