Le 10 novembre, la Cour suprême a entendu les arguments oraux dans l’affaire Californie contre Texas. Les lecteurs de ce blog seront familiers avec l’histoire de cette affaire, les arguments avancés et les résultats potentiels de la décision de la Cour.
Un bref rappel : En 2018, un groupe de procureurs généraux d’États républicains, menés par le Texas, et deux particuliers, ont intenté une action en justice pour invalider l’Affordable Care Act (ACA). Ils affirmaient qu’en 2012, la Cour suprême avait jugé dans l’affaire NFIB v. Sebelius que le Congrès n’avait pas le pouvoir de promulguer le mandat individuel de la loi en tant qu’exigence légale, mais qu’il pouvait imposer une taxe aux personnes qui ne s’y conformaient pas. En 2017, le Congrès a ramené cette taxe à zéro. Les plaignants ont fait valoir que le mandat n’est désormais plus une taxe et qu’il est donc inconstitutionnel. De plus, ils affirment que sans le mandat, tout ce qui reste de l’ACA est invalide.
Le ministère américain de la Justice, dans un geste inhabituel, a refusé de défendre la loi. Au lieu de cela, l’ACA est défendue par un groupe de 21 procureurs généraux démocrates dirigé par la Californie et la Chambre des représentants des États-Unis. Ils rejettent les arguments des plaignants et affirment en outre que ces derniers n’ont pas qualité pour intenter une action en justice car ils n’ont pas été lésés par le mandat édenté. Un juge fédéral de district a donné raison aux plaignants en 2018 ; le cinquième circuit a partiellement confirmé en 2019. Cette décision a été portée en appel devant la Cour suprême.
La Californie et la Chambre ont plaidé en premier, suivies du Texas et du ministère de la Justice. Chacun des juges a posé des questions à chacun des avocats.
La question de la qualité pour agir
Presque toutes les questions que les juges ont posées à la Californie portaient sur la qualité pour agir. En vertu de la Constitution, les tribunaux fédéraux ne peuvent entendre des affaires que si les plaignants souffrent d’un préjudice réel causé par la loi ou l’action contestée et qui peut être réparé par les tribunaux fédéraux.
La Californie et la Chambre ont fait valoir que les plaignants n’ont pas la qualité pour agir parce que le mandat tel qu’il a été modifié est vide de sens. Les plaignants individuels ne courent aucun risque d’une action gouvernementale pour le faire respecter et le mandat ne s’applique pas au Texas. Le Texas, cependant, a fait valoir que le mandat peut augmenter les coûts en amenant un plus grand nombre de personnes à s’inscrire à Medicaid et que les dispositions liées au mandat peuvent imposer des exigences administratives aux États. La Californie et la Chambre ont fait valoir qu’il n’y a pas de preuves factuelles suffisantes pour soutenir ces revendications.
Une question clé est la doctrine de la « qualité pour agir par inséparabilité. » Les plaignants et le ministère de la Justice ont fait valoir que même si le mandat lui-même ne les a pas lésés, d’autres dispositions de l’ACA l’ont fait et ces dispositions étaient inséparables – c’est-à-dire impossibles à séparer – du mandat. Plusieurs juges ont contesté cette théorie, notant que cet argument permettrait à toute personne affectée par une section quelconque d’une loi à dispositions multiples de contester la loi si une autre disposition était inconstitutionnelle. La Constitution ne permet pas aux tribunaux fédéraux d’offrir des « avis consultatifs » – des avis abstraits sur la validité d’une loi qui n’affecte pas concrètement les plaignants – mais c’est effectivement ce que les plaignants demandent. Bien qu’il ne soit pas clair où une majorité de juges se positionnera sur cette question, une conclusion de « pas de qualité pour agir » pourrait être un moyen facile pour la Cour de disposer de l’affaire.
Le mandat individuel est-il inconstitutionnel?
Le deuxième élément majeur de l’argumentation a porté sur la question de savoir si le mandat est inconstitutionnel. Le débat était centré sur la décision de la Cour suprême dans sa décision antérieure de 2012, qui avait jugé le mandat inconstitutionnel en tant que « commandement » mais constitutionnel en tant que taxe. La Californie et la Chambre ont fait valoir que le Congrès avait compris cela. La réduction de la taxe à zéro a effectivement abrogé le mandat et l’a rendu simplement précaire – c’est-à-dire quelque chose de demandé mais pas légalement requis.
Les plaignants et le ministère de la Justice ont fait valoir que la suppression de la taxe transformait à nouveau le mandat en un commandement inconstitutionnel interdit en vertu de la décision NFIB. Les juges ont posé plusieurs questions sur d’autres dispositions « précatives » de la loi fédérale qui incitent quelqu’un à faire quelque chose mais n’imposent aucune conséquence en cas de manquement, comme la législation de la Première Guerre mondiale qui demandait aux gens d’acheter des obligations de guerre. De nombreuses questions soulevaient des hypothèses ou demandaient des analogies. Il n’est pas clair combien de juges jugeront le mandat inconstitutionnel et combien le maintiendront.
Le mandat est-il dissociable du reste de l’ACA ?
La Cour a passé peu de temps à aborder ce que la plupart des observateurs croient être la question centrale de l’affaire : Si le mandat est inconstitutionnel, quelle partie de l’ACA doit être invalidée avec lui ? C’est sur ce point que la Cour s’est le plus clairement exprimée. Le juge en chef Roberts et le juge Kavanaugh ont tous deux laissé entendre qu’ils pensaient que le reste de l’ACA était dissociable du mandat. Ils ont également rejeté l’argument du plaignant selon lequel la section « conclusions » de l’ACA, qui stipule que le mandat est essentiel aux autres dispositions de l’ACA, devrait être traitée comme une clause d' »inséparabilité ». L’argument alternatif des plaignants, selon lequel au moins certaines des réformes de l’assurance de l’ACA devraient être annulées si le mandat est jugé inconstitutionnel, n’a pratiquement pas été discuté. Il semble qu’au moins cinq juges soient enclins à maintenir le reste de l’ACA si le mandat est annulé.
Les plaignants ont exhorté la Cour à se concentrer sur le texte de l’ACA et à ignorer toute autre preuve de l’intention du Congrès de 2017 ou de la façon dont la loi fonctionne aujourd’hui en l’absence du mandat. Bien que de nombreux juges s’identifient comme des « textualistes », il y avait peu de preuves qu’ils étaient enclins à ignorer totalement les intentions du Congrès en 2017 ou de la vitalité continue de l’ACA. Le juge Alito a observé qu’à l’époque de la NFIB, « il y avait de fortes raisons de croire que le mandat individuel était comme une pièce dans un avion qui était essentielle pour maintenir l’avion en vol, de sorte que si cette pièce était retirée, l’avion s’écraserait. Mais maintenant, la pièce a été retirée et l’avion ne s’est pas écrasé ». Il ressort des plaidoiries que la Cour n’est pas encline à être celle qui fera s’écraser l’ACA.